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25 Nov. 2012 / Editorial

Dans l'enfer de la sécurité, le diable est-il dans les "détails"?

par Jean-Luc Gallais

 Les débats sur la sécurité dans le champ de la santé sont devenus omniprésents. Au delà de la médiatisation du Médiator, des prothèses mammaires PIP ou des remous périodiques des agences sanitaires et autres commissions parlementaires, la sécurité et la gestion des risques sont en fait les lignes de fonds des stratégies bénéfices risques en santé. Si les procédures hospitalières focalisent depuis plusieurs décennies l'attention sur la pharmacovigilance, la matério vigilance et les aspects organisationnels intra-institutionnels, le champ de la médecine générale en France pouvait apparaitre comme un domaine beaucoup moins concerné. Cette vision est en fait une illusion. Des ouvrages comme ceux de René Amalberti et Jean Brami, "La sécurité du patient en médecine générale" (2010) et "Audit de sécurité des soins en médecine de ville" ( 2012) sont l'occasion de revenir sur le champ ambulatoire.

L'augmentation du niveau d'exigence de la collectivité (professionnels, politiques et population) s'est accrue avec la conscience croissante que la fascination d'une médecine présumée toute puissante faisait écran à la visibilité de ses fréquents effets latéraux négatifs. Les événements fortement médiatisés assurent la fonction du réverbère qui éclaire un aspect ponctuellement limité (si important soit-il) pour laisser dans l'ombre un champ bien plus important. Les aspects biotechnologiques sont ainsi au premier plan, laissant les questions clinique au deuxième ou troisième plan...

Dans toute approche de cette nature c'est le degré de conscience des acteurs impliqués des risques présents et potentiels est une étape essentielle. En distinguant alors les risques que l'on courre et ceux que l'on prend... selon la hiérarchie de gravité et de fréquence des effets délétères actifs ou quiescents.
En matière de non sécurité comme de non qualité, la tentation de botter en touche ou de désigner un bouc émissaire est forte d'autant que la production de soins implique simultanément et consécutivement beaucoup de monde, dont le patient-usager lui même et son entourage.
Faut-il rappeler que le succès comme l'échec dans une intervention médicale est le résultat d'une coproduction. Si l'affiche d'un film met surtout en valeur les vedettes, le long générique de fin laisse apparaitre tous ceux sans lesquels cette œuvre collective n'aurait pas été possible. Il en est de même dans le champ de la santé et du soin.

Cette conscience des interactions et des interdépendances réciproques devient alors levier d'une vigilance quotidienne dans laquelle les comportements humains priment souvent sur les aspects techniques. Les facteurs limitant la qualité et la sécurité sont nombreux. Les occasions de vérifier, au sens de "check list", sont multiples et les obstacles ne sont pas forcements ceux que l'on imaginer initialement. Ainsi sur le chemin des soins chroniques, des polypathologies et des poly prescriptions la circulation des informations utiles ou indispensables est la première méthode de base pour limiter les risques évitables et limiter l'iatrogénie (1).

Le cloisonnement du parcours de soins et l'absence de coordination explicite font courir des risques et allongent la liste des victimes dans laquelle se côtoient patients, professionnels de la santé et institutions. L'analyse des pratiques dans des cadres variés, du groupe de pairs au développement professionnel continu sont l'opportunité de mettre en exergue ces variables liées directement ou indirectement au niveau de sécurité. Cet élargissement et approfondissement périodique du regard laisse apparaitre plus clairement des déterminants non exhaustifs essentiels : les places et rôles du patient, les hiérarchies sociales inter et intra professionnelles, l'absence de culture commune entre professionnels de la sante, les conflits de frontières pour des raisons identitaires ou économiques, le peu de dispositifs d'interface et le peu d'usage de système d'information professionnels opérationnels alors que la communication interpersonnelle sur supports électroniques a envahit les échanges sociaux.

Le diable se cache alors dans les détails pour mettre en péril la pertinence, la qualité et la sécurité des soins. Mais en plus, il change de place aux grés des situations imposant donc un regard vigilant constant sur chacun des acteurs impliqués.

Les évolutions en cours avec le glissement vers le champ ambulatoire et les soins primaires de soins initialement exclusivement hospitaliers est par ailleurs une tendance forte. La réduction de la durée moyenne de séjours hospitaliers, la chirurgie ambulatoire, la mise en place de traitement oncologiques ambulatoire par os comme le développement des plateaux techniques et des maisons et équipés de soins primaires dotées de référentiels pertinents sont des marqueurs illustrant l'exigence d'un management adapté avec un rôle croissant des médecins traitants dans cette dynamique collective. La vision macro sanitaire de la sécurité est indissociable d'une sécurité, micro sanitaire au quotidien.

Cela suppose donc inéluctablement, au delà des changements organisationnels, des adaptations significatives des comportements "des autres" comme...de soi même au sein des pratiques. Le fil rouge à suivre en médecine générale et en équipe de soins primaires est déjà connu. C'est d'abord celui des ajustements pertinents des pratiques coordonnées notamment dans les parcours de soins et de santé, accompagné du développement des tableaux de bords d'analyse et de suivi des pratiques.

Jean Luc Gallais
Directeur Conseil scientifique SFMG

(1) Latil.f. Place de l'erreur médicale dans le système de soins. Prat Organ Soins 2007; 38 (1) 69-77.



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